Appel à communication

Appel à communication (octobre 2023)

 

Dans le domaine de l'éducation, la référence à l'innovation n'est pas spécialement récente, et on trouve par exemple plusieurs occurrences du terme, ou de ses dérivés, dans le Dictionnaire de pédagogie et d'Instruction primaire dirigé par Ferdinand Buisson (1882-1887). Il n'avait cependant pas alors le statut de concept normatif qui tend à s'imposer aujourd'hui, notamment dans les organismes internationaux comme l'OCDE (CERI, 2021). À l'heure où l'innovation devient une panacée du système éducatif (Cros, 2013), la perspective historique permet d'aborder l'innovation d'un point de vue critique. Jusqu'où peut-on, sans anachronisme, penser comme des innovations les différentes transformations de l'école, ou, en général (y compris hors l'école) des normes éducatives qu'a connues le monde « moderne » depuis le XVIIe siècle (Grandière et Lahalle, 2004) ? Quels rapports la notion d'innovation entretient-elle avec d'autres qui peuvent lui paraître connexes ? Par exemple avec celle d'expérience ou d'expérimentation ? On songe notamment à « l'expérience » des classes nouvelles de 1945 à 1951, ou à l'expérimentation de collège d'enseignement secondaire (CES) sans filières, initiée à l'Institut pédagogique nationale (IPN) par Louis Legrand à partir de 1967. Ou encore avec celle de réforme, qu'il s'agisse de réformes de structure comme l'ordonnance Berthoin de 1959 prolongeant la scolarité obligatoire, ou de réformes visant la transformation des pratiques pédagogiques ? Les historiens se sont peu penchés sur les modes de circularité qui existe entre réformes et innovations (Cros, 1997). Tout changement éducatif, on le sait, ne peut nécessairement être considéré comme une réforme (Robert, 2007 ; Prost, 2013). Mais toute réforme est-elle innovation ? Et toute innovation est-elle réforme ? L'innovation ne peut-elle pas au contraire être comprise comme l'antonyme de la réforme, dans la mesure où elle renferme l'idée d'une alternative, pédagogique ou « technique », dégagée de tout horizon axiologique ou normatif (Lescouarch & Vergnon, 2018). Vouloir innover, n'est-ce pas conserver une organisation, un ordre, tout en cherchant précisément à l'améliorer ? L'innovation ne relève-t-elle que de l'ordre matériel des dispositifs pédagogiques, là où les réformes se caractérisent par la nouveauté des fins qu'elles poursuivent ?

Dans ces conditions, n'est-il pas nécessaire de faire au moins l'effort de qualifier l'innovation, en distinguant par exemple l'innovation technique de l'innovation sociale (Cros, 1997) ? Est-elle fondamentalement différente lorsqu'elle émane du terrain, et peut-on qualifier ces démarches d'innovations même quand les praticiens redécouvrent des idées et des dispositifs anciens ? Ce rôle du terrain est-il accentué selon les pays en fonction du degré de décentralisation des politiques éducatives ? Peut-il alors y avoir des territoires rétifs ou favorables aux réformes et quelles échelles (locales, régionales, nationales ou internationales) peuvent être pertinentes pour appréhender les dynamiques de changement ? Par ailleurs, des concepts émergents, comme celui d'involution, viennent réinterroger la notion de changement en éducation, en suggérant l'éventualité d'une régression à un état antérieur, par exemple du fait des difficultés croissantes du métier enseignant ou d'une trop grande complexité de missions confiées à l'école. L'injonction à l'innovation, souvent paradoxale dans un cadre scolaire hyper-normé, ne dessine-t-elle pas alors une forme d'involution (Buttier & Collet, 2021) ? La question des rapports entre réforme, expérience et innovation invite également à considérer le rôle des acteurs, initiateurs ou récepteurs des transformations voulues ou subies, et des politiques nationales comme des ancrages locaux qui en facilitent l'adoption ou leur font obstacle.

Seront attendues des propositions problématisant les catégories convoquées (Innovation, réforme, expérimentation) et n'étant pas simplement descriptives ou illustratives. Un intérêt particulier sera accordé aux propositions portant sur la période moderne.

Trois axes sont proposés :

Un axe pédagogique (axe 1). Seront explorées ici des transformations de contenus éducatifs ou de méthodes de transmission en les référant aux catégories de réforme, d'expérimentation ou d'innovation. Aussi bien des outils (comme le plan de travail) que des figures historiques (comme Jean-Baptiste de la Salle) ou des mouvements éducatifs (comme le scoutisme) pourront être examinés tant dans leurs intentions de changement que dans leur diffusion.

 

Un axe politique (axe 2), analysant le jeu des forces et contre-forces à l'œuvre dans les processus éducatifs de transformations et les positions des différents acteurs (diversité des modèles éducatifs nationaux, résistance des pouvoirs publics face à des actions réformatrices engagées à la base, ou au contraire résistance du terrain vis-à-vis d'une volonté innovante impulsée « d'en haut », places respectives du national, du régional et du local...). Les propositions comparant des situations internationales trouveront leur place dans cet axe. Il pourra aussi inclure une interrogation critique, voire une déconstruction de l'innovation comme taxinomie de politique publique.

 

Un axe centré sur la matérialité des dispositifs (axe 3) et de leurs différents ancrages territoriaux interrogera aussi bien les conditions « techniques » des processus d'innovation que les réseaux d'acteurs impliqués dans leur mise en œuvre (mouvements pédagogiques, équipes d'établissements, associations disciplinaires, associations de parents, collectivités locales...). Les modalités de diffusion du changement pourront également être abordées dans cet axe.

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